JOURNAL
28/05/25 La Marne, 28 mai 2025
Jean Giono lu au musée de la Grande Guerre
Christine Bretonnier-Andreani, essayiste et poétesse, spécialiste de Jean Giono, et Christophe Alzetto, artiste plasticien passionné de musique, se sont lancés dans la production d'un double CD d'une lecture musicale de larges extraits du roman de Jean Giono : Le grand troupeau, publié en 1931 aux éditions Gallimard. Ce coffret produit verra le jour en juin 2025.
Dans leur processus de création, ils ont réalisé un concert-lecture unique d'extraits de cette lecture musicale, le 23 mai à l'auditorium du musée de la Grande Guerre de Meaux. Ce roman constitue un des rares textes narratifs que Jean Giono a consacré à la guerre de 14-18 à laquelle il a participé. Il évoque les scènes au village où les femmes et les vieux assurent les travaux agricoles, les scènes au frontdans la violence des combats ponctués par les morts, les mutilations volontaires ou encore les désertions dans la recherche de la survie primitive.
Le duo s'est ainsi lancé dans une composition musicale qui transporte le public au cœur du texte, tout en respectant la voix de Christine et en mettant en valeur le texte de Giono. Pendant cette représentation, des cartes postales, et un film composé d'images et de documents de la Grande Guerre étaient projetés, plongeant encore plus le spectateur dans ce combat mondial et le témoignage de Jean Giono. «À l'heure où les Ukrainiens vivent une guerre totale, où toute la population est mobilisée, ces lectures du Grand Troupeau de Giono montrent avec force ce qu'est une guerre totale», confie Christine Bretonnier-Andreani.
30/05/25 Et pourquoi pas le silence
Pourquoi réaliser une lecture musicale de Le grand troupeau ?
«Une lecture musicale de Le grand troupeau offre une expérience immersive et poétique au public. Elle permet de souligner les émotions, les ambiances et les rythmes du texte, en créant une véritable symbiose entre la parole et la musique.»
«Il ne s’agit toutefois pas simplement de souligner. De même qu’à la lecture, les espaces entre les mots se remplissent et qu’au long des phrases se superposent, invisibles, de nouvelles archictures de sens, de même la musique ne s’appose pas au texte mot à mot, synchrone, comme l’illustrant. Elle tourne autour et le distend aussi, elle rappelle, relie, convoque, évoque, s’amuse à remarquer certains réseaux probables et parce qu’elle interprète comme le lecteur, elle peut divaguer pour élaborer sa propre intime conviction.»
«Réaliser la musique de cette lecture, c’était donc à la fois une responsabilité qui décide à la plus grande minutie dans l’analyse du texte, autant qu’à un certaine défiance à signifier l’instant tant la musique autant que la lecture, est une interprétation — et donc un imago — traduisant autant que trahissant la réalité. Pour que la musique ne masque pas, elle doit commencer par renoncer à l’illusion de pouvoir démasquer. Dans le cas présent, elle est une œuvre seconde et subsidiaire, entre le voyage et le commentaire, une autre forme de lecture. Elle se tricote avant tout selon la trame du texte ; mais elle est aussi guidée par la lectrice et les intentions que dessinent ses intonations. Ainsi ce qui est souligné par la musique n’est pas l’instant textuel, mais le potentiel autoréférentiel.»
«La lecture de Christine Bretonnier-Andreani est déjà une interprétation musicale. Il y a la mécanique, les muscles, la gorge, la langue, il y a l’air et ce que le corps propose d’en faire, il y a ce qui nous emporte. Il y a l’état du moment, les intentions de récit qui en télescopent d’autres qui passent, contingentes, pertinentes, impertinentes, hors champ. L’état d’esprit de communiquer dont le paradoxe barthésien est que les moyens de son projet le contrarient même. Lire est un voyage que l’on fait à côté de l’auteur, et s’il nous embarque, nous sommes aussi définitivement distraits de lui. Car la barque partagée l’est pour le voyage et au meilleur de la rencontre, nous ne nous déplaçons jamais qu’en nous seul.»
«Et donc, pourquoi pas le silence ? La lecture se suffirait amplement à elle-même. Décider de cette musique en surcouche, postérieurement à l’enregistrement de Christine Bretonnier-Andreani, c’était l’envie d’évoquer et de relier par davantage encore de sensorialité, tant l’œuvre de Jean Giono en est débordante. En plasticien, Christophe Alzetto a conçu cet accompagnement comme une musique à l’image, une musique cinématographique. Elle ne pouvait cependant se contenter de passer de l’écrire et du dire au décrire et illustrer, n’être que prétexte et contexte. Si elle est irrémédiablement parti-pris, bruit, resserement de la lecture, elle est aussi un voyage inédit, permettant d’autres éclosions, dans une attention à la fois hyperscopique et globale au texte et à la voix.»
«Un minutieux travail sémiologique a présidé à la composition musicale, Christophe Alzetto s’efforçant non pas de souligner, mais de détecter les autoréférences et les polysémies, et de formuler ce qui pouvait se jouer en creux, en contrepoint. Il s’agissait que chaque instrument, chaque thème mélodique, chaque structure ne soit pas symbolique d’une seule intention, mais de diverses en connection, en enquêtant sur le tissage sémantique du texte. Au gré de la composition, tout comme pour une écriture littéraire, les nouveaux événements sonores se chargent de leur propre histoire et déploient de plus vastes significations avec leur lot de contradictions. Les couleurs, les lumières, les matières, les espaces, les gestes, les formes, les signes sonores décidés le sont non pas seulement selon le moment narratif, mais de façon à remarquer ce qui gonfle, ce qui veut sourdre, ce qui est tapi, ce qui se trame, ce qui pèse et menace, ce qui se meut ou se répète discrètement, dans le temps long du récit.»
— Extrait du livret du double CD Le Grand Troupeau
Je te souhaite un fils, version instrumentale
Christophe Alzetto, 2025
Librement inspiré de l'œuvre de Jean Giono Le Grand Troupeau, ed. Gallimard