CHRISTOPHE ALZETTO
ARTISTE PLASTICIEN

JOURNAL

30/10/15 ligne, matière

Photographies d'automne

Un déménagement, une année sans atelier de peinture, mais de la photographie d'agrément, de temps en temps. Et j'y retrouve mes classiques considérations autour de la ligne et de la matière, deux langages différents qui tantôt se disputent la prééminence, tantôt se relaient. Cette tendance à concevoir l'occupation des espaces au moyen de plusieurs langages en négociation se retrouve, je crois, dans tout mon travail, d'aussi loin que j'en ai trace.

Par ailleurs, on pourrait faire l'hypothèse que l'automnal et le forestier en sont un topos fondamental. Les exemples matériologiques fourmillent dans ma production, mais il y a aussi le paradigme de l'entropie, omniprésent, la déliquescence, le délitement.

L'enchevêtrement associé au paroxysme de la prolifération, au point où elle va s'infléchir et d'autant plus morceler, la densité et la profusion associées, en sont évidemment le corollaire.

Enfin, bien sûr, on retrouve le sentiment de proximité, le détail intime de la matière que l'on peut fouiller des yeux, organisant l'espace par l'accumulation des plans ou, comme je l'ai souvent dit, des strates.

Ayant tout ceci à l'esprit, il est intéressant de remarquer que certaines de mes toiles ont été décrites comme forestières, boisées, jungles, mais aussi champignonneuses... s'agissant sans doute de certains effets de spongiosité produits par les vernis et pâtes synthétiques que j'utilise.

L'origine étymologique de matière est madera, c'est-à-dire le bois, considéré archétypal de toute matière, autrement dit de toute masse dont la forme et la structure sont susceptibles d'être travaillées. Le bois relève aussi de la ligne car il est une matière ligneuse, constitué de faisceaux de fibres à l'organisation spécifique.

Piet Mondrian a inventé son néoplasticisme en stylisant à outrance les lignes enchevêtrées de la figure de l'arbre, jusqu'à obtenir son motif typique de lignes noires perpendiculaires lui permettant de partitionner l'espace. Concentré sur l'équilibre énergétique des couleurs et leurs relations harmoniques, il a évacué la matière au profit d'une rationnalisation structurelle et spirituelle.

Au sujet du rapport entre ligne et matière, dans le contexte forestier, celui de l'enchevêtrement, indiquons que les principales entités organiques susceptibles de défaire les fibres du bois — la lignine — sont les champignons. Ce faisant, ils créent leur propre réseau sous-terrain, subliminal, le réseau mycorhizien, d'une densité et d'une ampleur remarquables, qui va proliférer pour connecter nombre d'espèces végétales dans une vaste toile (web) de partage d'informations et de produits.

Bien que traditionnellement associés à l'idée de corruption, de pourrissement ou de ruine, les champignons s'avèrent être les fruits, les émergeances d'un vaste organisme, relevant davantage de l'animal que du végétal, immense et foisonnant labyrinthe de connexions du vivant.

Quant à l'araignée, l'arachnide, on relève une étymologie impliquant les notions d'assemblage et de filet. Son suffixe emporte l'idée de nœud, et est apparenté à neo : en latin le nouveau, tandis qu'en grec il emporte l'idée de filer, voire de tramer. La toile est de cette nature étymologique : une trame, un fil de chaîne, une manoeuvre, une intrigue, mais une architecture nouvelle, une invention dont la beauté nous piège, nous prend car nous surprend, parce qu'elle n'était pas là avant. Comme un tissu, matériau de fils, la toile d'araignée est ligne autant que matière.

28/03/15 Cadran Solaire, décor

Exposition locale au restaurant Le Cadran Solaire

Je suis généralement assez peu passionné par les expositions de restaurant, lorsque les tableaux ornent les murs, le repas et les conversations. S'ils sont là pour l'agrément, dans les deux sens du terme — l'agréable et l'agréé, j'ai tendance à croire qu'ils se déclarent eux-mêmes inoffensifs.

Et moi, sans présumer rien faire d'exceptionnel, je n'ai pas trop envie de décorer, ce n'est mon projet ni dans le fond, ni dans la forme. J'espère parer comme arrêter, comme faire obstacle, et non parer comme arranger, disposer. Je ne travaille pas dans l'exigence de joliesse qu'implique un usage décoratif. Pour cela, j'assume les compositions discutables, les matières triviales, les empâtements peu délicats, les références inconfortables. Une recherche emprunte d'instabilité, dans la défiance des stéréotypes, c'est plutôt ce qui m'occupe ; des propositions perturbantes, parfois même dérangeantes, c'est plutôt ce qui m'intéresse. On ne vient pas au restaurant, je suppose, pour être dérangé.

Mais voila, la contradiction intrinsèque et historique de l'activité artistique est aussi valable pour moi que pour un autre : cela m'arrange fort bien que des gens trouvent mes tableaux adaptés à leur goût et à leur intérieur. Comme souvent dans la création en général, les raisons du faiseur et de l'acquéreur ne sont pas souvent les mêmes ; mais enfin ils se rencontrent.

Le décor, étymologiquement, relève du convenable, et emporte donc une idée d'adéquation, de goût éduqué, d'attendu. S'il existe un art à visée décorative on peut se demander s'il n'est pas question dès lors, d'artisanat (ce qui n'est pas un gros mot). Quant à moi, j'aime appréhender ma démarche comme un pas de côté.

Pour autant, lorsqu'il y a plusieurs années l'on m'a proposé d'exposer au Cadran Solaire, restaurant traditionnel prisé du village de Varreddes (77), j'ai eu la surprise d'y trouver bien des amateurs avertis, des acheteurs, voire des collectionneurs. J'ai donc pris l'habitude d'y proposer des toiles à la vente, à intervalles réguliers, à des prix atelier. Merci à Florence et Régis Malabry pour leur ouverture et leur accueil sans faille.

Le Cadran Solaire, 15 Rue du Four, 77910 Varreddes

15/01/15 Peaufiner

Ce qui point, Visages Lisières, in process, Christophe Alzetto, ChrisAlz, Novembre 2016
Variations, Visages Lisières, in process, Christophe Alzetto, ChrisAlz, Décembre 2016

Visages01-2013, in process.

J'ai pris l'habitude, depuis quelques temps, de dater mes tableaux d'après l'époque de commencement, même s'ils mettent des mois ou des années à finir. Un peu dans l'esprit de la fameuse phrase d'Yves Kein, "Mes œuvres ne sont que les cendres de mon art", j'estime que ces séries de toiles sont à déterminer par la date de leur conception et que ce que je cherche a une origine. Ce n'est pas toujours le cas cependant : je peux dater certains travaux selon leur achèvement, lorsque j'ignorais particulièrement où j'allais. Cela dépend. En quelques sorte, ce qui détermine la datation dit quelque chose du processus créatif. Ici, Visages01-2013 se voit flanqué d'un cartel indiquant Janvier 2013 - Décembre 2014 : date de début, date de fin.

La granulosité du résultat est particulière et semble en contradiction avec la fraîcheur lisse que je souhaitais initialement impliquer, mais comme toujours la matière s'est imposée à moi. La peau se tend sur et cache mal d'innombrables concrétions qui pointent, prêtes à percer mais contenues. Elles sont un accès, dans tous les sens du terme. Peaufiner, in fine, impose les grains sous une peau de chagrin.

Comme maintes fois par le passé, la "triche" morphologique est lente et délicate à déterminer, on en ressent les effets dans la comparaison entre les deux étapes visibles ici. Elle se remarque notoirement dans la dentition et les proportions maxillaires absurdes (le procédé typique des vertèbres en trop de La Grande Odalisque de Jean-Auguste-Dominique Ingres, procédé si couramment utilisé, comme dans Visages08-2010 ou Visages06-2010 par exemple).

04/01/15 Alluvions

Visages08-2009, ébauche.
Café, marc de café, colle vinylique sur toile.

J'aimais bien ce protocole, une ébauche au café, dans le gesso et la colle. Pour ce tableau de 2009, je commençais par le marc, qui m'aidait à fonder d'abord des zones de profondeur et d'intensité, le grain autant gorgé que vidé caractérisant une sorte d'ébranlement visuel. De ces agrégats résiduels, le jus était tiré, allongé et conduit au pinceau pour irriguer le support nu et se fondre dans la colle fraîche. Par l'agglomérat et la fluctuation, je retranchais donc à la lumière, conception soustractive inhérente à la picturalité.

La relation entre le corpusculaire et l'ondulatoire est encore manifeste, entre masse et ligne, entre matière et couleur, entre sec et liquide, parcelles et champs, rétentions et extensions. Dans la description classique de la lumière en physique Newtonienne, on la pense soit projection de particules, soit phénomène ondulatoire. Dans la théorie des quantas, la lumière procède simultanément des deux et son énergie est probabiliste. J'aime l'idée de probabilisme dans ma recherche d'états intermédiaires, indiscernables, en suspension. La diffusion est simultanément de diverses natures, grain et flux, la toile est un espace-temps.

Les grains restant principalement agrégés, les plus intrépides se détachaient toutefois lentement par les effets du geste ou par les jeux rhéologiques. Ce doux effondrement avait quelque chose à voir avec l'état transitoire, entre consistance et inconsistance, densité et dilution, que je cherchais en ce visage latent. Peut-être que beaucoup des états intermédiaires ou simultanés dont je tente une certaine figuration, procèdent d'un oxymore têtu, et d'un entre qui refuserait le ou exclusif de la logique booléenne — cela, rendu un peu possible par les vertus syncrétiques de l'image et de la matière : la matière est lumière, la toile un espace-temps.

On discerne également la mise au carreau, procédé que j'affectionnais à l'époque (mais qui n'avait rien de systématique), permettant de reporter les études et portions de photographies que j'utilisais parfois. Amusant qu'un tel procédé, symptôme d'une recherche d'exactitude mimétique, soit employé dans le délabrement référenciel et la négociation tâtonnante qui caractérisent mon travail.

02/01/15 Sur le terrain

Le garage aménagé de Précy sur Marne, à deux pas de la maison de la chanteuse Barbara, dans lequel je travaille depuis 2012. J'amène encore quelques retouches à Visages03-2013.

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